Visuel
à l'affiche
spectacles
Espace pro
pédagogie
votre avis
projet bus
presse
vidéos
contact
audio
les copains d'abord
l'équipe
{ Mots }    { Conte }    { Chanson }    { Musique }    { Lieux }    { Pauses }    { Sur le net }

Mots

Je reviens faire un tour dans cette rubrique en mai 2015, et découvre que le livre dont je parlais un an et demie plus tôt lors de ma dernière visite était : Les Détectives Sauvages de Roberto Bolaño.
Et voilà justement que je termine à l’instant les 1356 pages de 2066 du même Bolaño. Bolaño y regrette que "[M]ême les pharmaciens cultivés ne se risquent plus aux grandes œuvres, imparfaites, torrentielles, celles qui ouvrent des chemins dans l’inconnu. Ils choisissent les exercices parfaits des grands maîtres. Ou ce qui revient au même : ils veulent voir les grands maîtres dans des séances d’escrime d’entraînement, mais ne veulent rien savoir des vrais combats, où les grands maîtres luttent contre ça, ce ça qui nous terrifie tous, ce ça qui effraie et charge cornes baissées, et il y a du sang et des blessures mortelles et de la puanteur." De ce livre on sort en effet un peu K.O. comme à l’issue d’un combat de boxe (perdu, forcément perdu d’avance, comme le combat du boxeur mexicain dans le livre face à celui des Etats-Unis), mais aussi un peu ivre , embaumé comme un cadavre survivant.

- Je suis dans ma période Christian Gailly. Dans sa phrase rien de trop. Souvent, d’ailleurs, elle ne finit pas. Se suspend. Christian Gailly était musicien. De jazz. Free, le jazz. Ca s’entend dans Be-Bop. Dans Dernier Amour que je referme juste, on est plutôt du côté de chez Brahms, à lire en écoutant ceci. Un homme doit mourir. Il ne meurt pas. Pas encore. Il a le souffle court. Comme la phrase. La maladie, la proximité de la fin élaguent l’inessentiel. Jusqu’à ne laisser place qu’à la vie, qui continue à blaguer en demi-teinte, sous la forme de trois Mercedes et d’un "dernier amour". Voici ce que Christian Gailly dit de l’acte d’écrire : "Écrire, c’est cultiver un espoir de justesse. Dans les deux sens du mot. On a toujours la même chose dans le creux du corps, on réessaie sans cesse de le dire le plus justement possible et on y arrive parfois, mais de justesse..."
- Je termine deux textes très différents (les deux chez Actes Sud), mais qui d’une certaine manière se répondent, et évoquent l’un par le récit-mosaïque, le journal réel-imaginé, l’autre par le roman, la "fin des mondes", la destruction, la fuite du temps, et tout ce qui se répond en écho à travers les strates du passé ... De W.G. Sebald, Les Anneaux de Saturne ; de Jérôme Ferrari, Le Sermon sur la chute de Rome
- Christian Gailly, Les Oubliés
- Augusto Monterroso : Mouvement perpétuel, éd. Passage du Nord-Ouest
- Georges Perec : Espèces d’espaces. Trois extraits ici.
- Une très belle écriture à découvrir, de celles où les mots suggèrent plus qu’ils ne disent : Claire Keegan dans Les Trois lumières, éditions Sabine Wespieser
- Un excellent Simenon : L’Aîné des Ferchaux
- Aimé deux livres de nouvelles du même auteur, Etgar Keret : Un homme sans tête et autres nouvelles et Au pays des mensonges  ; traduits de l’israélien par Rosie Pinhas-Delpuech ; Actes Sud.
- Si vous aimez les ports, les zones d’entre-deux de l’Histoire et leurs histoires, les récits autonomes qui finissent par se croiser et tisser des motifs comme petit à petit notre vie se fait musicale : Terminal Frigo de Jean Rolin
- Le Port intérieur, d’Antoine Volodine
- L’Or de Blaise Cendrars
- Train de nuit pour Lisbonne de Pascal Mercier. Lire aussi ici
- Les fruits du Congo de Alexandre Vialatte
- Contes de Galicie de Andrzej Stasiuk
- Abbés de Pierre Michon
- Cochon d’Allemand de Knud Romer
- The Invention of Solitude de Paul Auster
- Point Oméga de Don DeLillo. Lire un entretien avec l’auteur
- La Trilogie New-Yorkaise, de Paul Auster
- Pourparlers, de Gilles Deleuze.
- Les Wagons rouges de Stig Dagerman
- Sozaboy (Pé !@#$%^&* minitaire), de Ken Saro-Wiwa
- Eloge des voyages insensés de Vassili Golovanov
- La Barque le soir de Tarjei Vesaas
- La Princesse du sang de Jean-Patrick Manchette
- Dans la ville des veuves intrépides, de James CAÑON
- After the Quake (Après le tremblement de terre en 10/18), de Haruki MURAKAMI
- Un Chien mort après lui, de Jean ROLIN
- Moloch, de Thierry JONQUET
- Les Larmes de Spinoza, de Pascal Commère
- Le Clown et autres contes, de Gérard SIRE

Ci-dessous, d’autres conseils de lecture !

Henri Calet (romans, récits, chroniques)
Albert Cossery (romans, nouvelles)
Vladimir Jankélévitch (philosophie)
Nicolas Bouvier (récits, carnets, poèmes)
Pippo Delbono (théâtre)

Henri Calet, (1904-1956)

à lire : Le Tout sur le tout, Le Bouquet, Un Grand voyage, Contre l’oubli, puis petit à petit tout le reste !!!
Et si vous avez aimé Calet lisez aussi par exemple : Les Coups de Jean Meckert ; Coco Perdu de Louis Guilloux ...

Sa biographie

Il est des auteurs auxquels on aime revenir. Ce qu’on aime chez eux, c’est le ton de la voix, c’est le regard porté sur les êtres et les choses.
Commencer un livre de Henri Calet c’est comme retrouver un vieil ami, de ceux avec qui on n’a plus forcément besoin de parler beaucoup pour tout se dire.
Quand on lui demandait ce qu’il faisait dans la vie, Calet répondait : "J’écris ... un peu." Il est tout entier dans cette ponctuation du : "un peu". Mais derrière sa modestie, son humour aigre-doux, son abord du monde discrètement distancié, son pas de flâneur de la vie un peu désabusé mais trouvant dans les aspects prétendument futiles de l’existence matière à intérêt, c’était aussi un homme de convictions, qui écrivit dans le journal Combat entre 1944 et 1948.

" - C’est marrant, les bêtes, a fait remarquer une dame.
Oui. Les gens aussi."

extrait de Contre l’oubli de Henri Calet, collection Les Cahiers Rouges, Grasset.

Lire un article de l’excellent magazine littéraire indépendant Le Matricule des Anges

à lire aussi : A la vie, à la mort. Histoire du journal Combat.
par Yves-Marc Ajchenbaum, Le Monde Editions
Albert Camus, Pascal Pia, Claude Bourdet, Maurice Clavel : résistants, écrivains, journalistes, ils se sont battus pour une presse libre, indépendante. Ce livre passionnant raconte l’histoire de leur « combat » qui voulait porter haut les valeurs de la Résistance. Une lecture salutaire à l’heure où les medias ont un peu oublié les principes qui guidaient ces hommes et ces femmes qui entendaient soustraire la presse aux puissances de l’argent.


Albert Cossery (1913-2008)

J’apprends au moment où je commence à rédiger cet article la mort d’Albert Cossery, le 22 juin dernier. J’avais rencontré Cossery il y a une dizaine d’années, au Salon du Livre. Il était déjà sans voix, des suites d’une opération du larynx. Il attendait, immobile, derrière une pile de ses livres. Il m’avait fait irrésistiblement pensé à un vieux lézard.
Cossery a toujours défendu la lenteur et la paresse dans un monde qui s’acharnait à aller trop vite - quitte en perdre pas mal en chemin. Il s’était définitivement rangé du côté de l’humour, mais d’un humour conçu comme l’arme fatale contre ceux dont le "sérieux" tue, pour peu qu’il s’allie au pouvoir. Lisez par exemple La Violence et la dérision... Toute ressemblance entre le tyran grotesque du roman et quelque tyranneau contemporain amant d’une cigale ne serait bien sûr due qu’à la malveillante perception du lecteur !

Pour lire quelques extraits d’Albert Cossery, cliquez ici.
Une bibliographie


Vladimir Jankélévitch (1903-1985)

Vous parler de Cossery me fait vous conseiller la lecture d’un recueil d’entretiens avec le philosophe (mais aussi poète et musicologue ...) Vladimir Jankélévitch, dont le titre est emprunté à Rainer Maria Rilke : Quelque part dans l’inachevé. Je n’ai rien encore lu d’autre de Jankélévitch que ce dialogue, mais il ne cesse de diffuser en moi une réflexion fertile et créatrice.
Ce qu’il y est dit à propos de l’humour me conforte par ailleurs dans l’idée qu’il est le meilleur antidote à tout intégrisme de la pensée (qu’elle soit politique ou religieuse) :

"L’humour, c’est la conscience en voyage. [...] Le vagabond de l’humour restera éternellement en état de vagabondage : il n’est pas le roitelet de son joli royaume, il est le voyageur d’une errance infinie. L’errance, ce fut longtemps la spécialité des juifs. [...] Ce qu’on appelle l’humour juif exprime à sa manière le doute quant aux vérités toutes faites et le doute sur soi-même ; il porte en lui le principe de la légèreté et du sourire [...] mais sans prétendre opposer une vérité à une autre. [...] L’humour est taillé dans la même étoffe fluide que le devenir [...], une très légère mélancolie dans un voile de tendresse."


Nicolas Bouvier (1929-1988)

à lire : L’Usage du monde, Routes et déroutes, Le Vide et le plein ... et tout le reste !!!

Bouvier fait partie des quelques auteurs qui m’ont changé. Après l’avoir lu, il ne m’était plus possible d’avoir le même regard sur le monde et sur ma propre existence. J’ai rencontré L’Usage du monde, le premier livre de cet écrivain dit "écrivain-voyageur" (mais dont les voyages ne furent pas que mouvement géographique, mais aussi déplacement intérieur) perché sur un rocher dur aux fesses de l’île de Bornholm où j’étais alors bénévole dans un chantier international. A la fin de journées bien animées avec une multitude d’enfants blonds de cette belle île danoise de la Baltique, je rejoignais Bouvier soir après soir et le lisais jusqu’au moment où le spectacle du coucher de soleil l’emportait sur les paysages de l’écrit.
Et puis année après année j’ai tout lu de celui qui confiait dans une lettre : "Vraiment je commence à aimer le silence et à le rompre plus rarement. J’aimerais pouvoir m’en servir beaucoup pour mon écriture, c’est plus plein que les mots. (leçon dont le conteur que je devais devenir s’est souvenue !)

"Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu’au jour où, pas trop sûr de soi, on s’en va pour de bon. Un voyage se passe de motifs. Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. On croit qu’on va faire un voyage, mais bientôt c’est le voyage qui vous fait, ou vous défait."
extrait de L’Usage du Monde, récit de voyage, éditions Droz (grand format) ou Petite Bibliothèque Payot (poche).

Pour lire des extraits de Nicolas Bouvier, cliquez ici puis sur les titres des oeuvres.


Pippo Delbono

à lire : Mon Théâtre chez Actes Sud et Le Corps de l’acteur, aux éditions Solitaires intempestifs.

Il en est des rencontres artistiques comme des rencontres humaines ... Elles se font souvent par hasard. C’est en faisant la vaisselle avec en fond sonore l’émission de France Culture "Les Affinités Electives" que j’ai découvert l’existence de Pippo Delbono. J’ai arrêté les robinets et écouté. Les assiettes sales attendraient.
C’est par un autre hasard que j’ai appris d’un ami quelques semaines plus tard qu’un certain "Pippo Delbono" était à Toulouse pour y donner des représentations de ces deux dernières pièces en date : Questo buio feroce (Cette obscurité féroce) et Récits de juin tiré du livre du même titre chez Actes Sud.
Moi qui m’ennuie si souvent au théâtre, j’ai retrouvé avec le travail de la compagnie Pippo Delbono (dans un style très différent) une émotion que je crois n’avoir guère éprouvé que la première fois que j’ai vu Philippe Caubère dans le magnifique Ariane ou l’Âge d’Or. Je ne sais pas si j’aime ou je n’aime pas ce que propose Pippo (parfois même, de manière certaine, je n’aime pas ...), mais ce qui est surprenant c’est que cette question est sans importance. Ce qui compte, c’est la façon dont ça m’a traversé (d’une manière très profonde, très violente parfois), les émotions complexes qui ont été distillées en moi et m’ont fait courir à la sortie de la deuxième pièce éclater de larmes aux toilettes du Théâtre National de Toulouse, mais exactement comme on éclate de rire !
En sortant de là, je me suis dit : dommage qu’on ne puisse pas faire avec un metteur en scène comme avec un écrivain ou un chanteur : découvrir toute l’oeuvre. Et j’apprends que Pippo continue de tourner presque toutes les pièces de sa compagnie ...
Me voici parti à Marseille, pour une rencontre ; à Rennes pour le spectacle Guerra ; et si la fatigue ne m’avait pas rejoint une place m’était réservée à Chateauvallon pour Il Silenzio ...

Pippo Delbono a une dimension profondément populaire, à l’opposé de l’intellectualisme. Il retrouve l’âme du cirque, la nécessité vitale d’aller "jusqu’au bout" du fil de fériste. Son théâtre laisse parler les corps des acteurs perçus non seulement comme personnages potentiels mais comme personne vraies. Il défend une liberté de regard sur le monde, qui passe nécessairement par l’excès évoqué par Claude Régy dans Espaces perdus : « Il faut retrouver en soi comment aller trop loin. Ne pas s’empêcher d’explorer. Ce serait se priver de notre vie même, parce que nous vivons tout le temps au-delà de l’extrême, mais en l’occultant de toutes nos forces. C’est peut-être ça, la maladie : que le dépassement soit frappé d’interdiction. »
Il rappelle aussi une chose essentielle : se raconter, c’est faire un acte éminemment révolutionnaire, politique (la télé et "la politique" entretenant à l’opposé une schizophrénie du paraître). Il s’agit de s’engager soi-même et peut-être aussi de se découvrir soi-même … engagement qui implique parfois de se détruire ou détruire des choses en soi, de perdre, d’abandonner ou de renoncer à certaines choses qui nous éloignent de nous-mêmes.

pour lire des extraits d’entretiens cliquez ici


Et aussi ...
1/ Bêtes sans patrie de Uzodinma Iweala. Editions de l’Olivier.
lire l’article du Matricule des Anges
lire l’article du Nouvel Obs’
L’enfant dans la guerre. L’enfant-guerrier qui pour se donner du courage écoute la comptine qui chante dans sa tête : "Soldat Soldat / Tue Tue / Tue". Ce pourrait être seulement sinistre mais le langage porte tout au long de ce monologue intérieur la vie qui résiste, le souvenir et l’espoir auxquels malgré tout s’accroche l’enfant. Oui, ce livre est avant tout une langue qui se délie. Un éclaboussement de mots semblable à celui des chairs qui éclatent sous la balle. Les déformations lexicales disent la réalité déformée dans laquelle un enfant voit en quelques mois "plus de choses horribles que même dix mille hommes ensemble" et "fait plus de choses horribles que même vingt mille hommes ensemble" en obéissant aux ordres du commandant qui "se gosille". Cet enfant parle un peu comme le Momo de La Vie devant soi de Romain Gary, sauf qu’il se parle "dans moi-même" parce qu’il n’y a plus personne à qui parler dans ce "partout partout" on on sème la mort derrière soi.
Il faut le noter, la traduction de ce roman d’un américain d’origine nigériane est elle-même une prouesse d’écriture, elle est du congolais Alain Mabanckou, auteur de talent à découvrir.

2/ Alexandre Vialatte. Pour le découvrir, cliquez ici ou .
Je suis en train de finir ses Chroniques de l’année 1968, rééditées cette année chez Julliard. J’aime l’exercice de la chronique, surtout quand elle est conduite avec un tel style et un pareil sens de l’absurde. La légèreté imaginative de beaucoup de ces textes donne plus de force encore aux colères de Vialatte, à son mépris pour les luttes de pouvoir qui sentent "le cadavre et la mouche bleue".
Vialatte observe d’un oeil tristement amusé la civilisation de la consommation, et regrette celle "de la promenade, celle des idées qu’on discute gratuitement pour le seul plaisir de la chose." "C’est le temps perdu qui a fécondé l’humanité."